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L'ECHO DES SABOTS

L'ECHO DES SABOTS
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L'ECHO DES SABOTS
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20 décembre 2009

CAUCASE 09

Dans le cadre de l’organisation et de la préparation de la Route Transeuropéenne du Cheval, plusieurs adhérents de Cheval Sans Frontières sont partis au mois de juillet dernier dans le Caucase rencontrer les chevaux kabardines. Cet article a pour but de vous faire partager et de vous rendre compte des aventures et des moments rares que nous y avons vécus. Bonne lecture.

CHEVAL SANS FRONTIERES : RETOUR DANS LE CAUCASE

10 juillet 09. Aéroport de Roissy à Paris. Nous sommes Elbrus (3) Manu (4) et moi-même Claire (2) prêts à rejoindre Catherine (1) partie en éclaireuse depuis 10 jours à Nalchik. Rico (5) arrivera dans le Caucase demain, directement de l’Ile de la Réunion. Catherine nous a prévenus : à Moscou, une fois les formalités de douane et de police accomplies, nous devrons « cavaler » pour attraper la correspondance de Mineralnye Vody (littéralement la ville de l’eau minérale). Effectivement, il nous faut filer du terminal 2 au terminal 1 (15mn en taxi) au pas de course pour attraper notre vol. A l’arrivée, Catherine nous attend avec Ibrahim Yagan (6) l’éleveur de chevaux qui sera notre hôte et mentor pendant tout notre séjour. Ibrahim n’est pas un inconnu pour Cheval Sans Frontières. Catherine, dont vous avez sans doute vu le film « Kabardines, des chevaux à sauver » l’a filmé à plusieurs reprises lors de ses précédents voyages. C’est lui qui l’avait alerté en 2002 sur la situation des chevaux kabardines dans cette région du Caucase et ce sont principalement ses chevaux que nous sommes venus rencontrer.

NALCHIK : LA OU LES CHEVAUX LAISSENT L’EMPREINTE DE LEURS SABOTS

Après 80 kms de route serpentant au milieu d’immenses champs jaune vif, les tournesols sont en pleine floraison, nous arrivons à Naltchik, capitale de la République de Kabardino-Balkarie. Avec moins de 300 000 habitants, c’est une ville de moyenne importance dont l’histoire est relativement récente. Historiquement parlant, c’était le lieu « où les chevaux laissaient l’empreinte de leurs sabots en s’enfonçant dans la terre humide ». Grâce à ses sources thermales, elle a connu un certain essor au moment de l’Union Soviétique quand les notables de Moscou venaient y prendre les eaux ou envoyaient leurs enfants en colonies de vacances. De cette période elle garde quelques anciens hôtels de cure au charme désuet, plusieurs théâtres et des petits restaurants. Une coulée verte la traverse de part en part, ponctuée de petits lacs le long desquels les habitants aiment venir se promener, se délasser le soir, voire même se baigner.

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Grâce à ses intellectuels et universitaires comme Larissa (10), à ses artisans talentueux comme Slavik (7) et Sacha (8), qui mettent toutes leur énergie à retrouver les savoirs ancestraux, à ses artistes comme Ruslan Tsyrim (9) dont les œuvres reflètent si bien l’âme et la spiritualité kabarde, grâce aussi à ses créateurs et développeurs d’entreprises tels Ibrahim et Hussein (11), Naltchik tente depuis plusieurs années de retrouver un second souffle et une identité forte s’appuyant sur les valeurs du passé mais résolument tournée vers l’avenir.

UN TOAST SOUS LES ETOILES ACCOMPAGNE NOTRE ARRIVEE

Dès le premier soir, nous sommes dans l’ambiance : Ibrahim nous régale à la ferme Guaran d’un dîner traditionnel composé de viande et légumes cuits dans un panier déposé au fond d’une fosse creusée dans la terre. Nous sommes entourés de toute sa famille et placés autour de la table suivant « l’adat » (code rigoureux et savant qui régit tous les moments de la vie quotidienne), par Zamir (12) un ami de la famille. Ibrahim est le « tramada » le chef de table, l’autorité morale, le référent. A sa droite, l’invité(e) le plus âgé ou le plus exceptionnel, puis par degré d’importance décroissante, on place l’invité suivant à sa gauche, puis à sa droite et ainsi de suite jusqu’au bout de table où l’on trouve les femmes et les membres de la famille qui n’ont pas besoin d’être honorés.

 

Les enfants, quant à eux, font généralement le service. De la naissance à 7 ans, ces derniers sont les rois du monde, c’est la liberté totale sans restriction aucune. Rien ne leur est refusé, la terre, ses montagnes, ses forêts et ses glaciers, ses mers et ses poissons leur appartiennent. A 7 ans, ils deviennent les serviteurs de leurs parents, ne peuvent intervenir en rien dans les discussions, servent les adultes du matin au soir. C’est la phase d’apprentissage de la vie par l’observation. Dans des temps pas si anciens, le jeune garçon était confié par la famille à un « atalik », sorte de tuteur qui secondait les parents dans l’éducation de l’enfant mâle et l’instruisait dans le maniement des armes. Vers 15 ans, leur formation étant considérée comme achevée les adolescents deviennent en quelque sorte les « amis » de leurs parents et sont perçus comme des adultes à part entière dans la communauté.

Nous vivons notre première expérience d’échange de toasts sous les étoiles. Le toast est une institution, un moment fondamental qui ponctue le déroulement du repas. Il ne s’agit pas seulement ici du choc de deux verres. Celui qui souhaite porter un toast demande la parole au tramada et s’adresse à lui pendant tout son discours que tous écoutent, debout, le verre à la main, les yeux baissés. Cela relève plus du bâton de parole africain que du toast européen. Le toast reflète les sentiments vrais de celui qui le porte envers celui, ceux et celles à qui il s’adresse. Une fois le toast prononcé, tout le monde se rassoit pour continuer à manger avant de se relever à nouveau quand l’orateur suivant est prêt à s’exprimer à son tour.

NOTRE SEJOUR A LA RENCONTRE DES KABARDINES EN LIBERTE DANS LES HAUTS PATURAGES DU CAUCASE

Les neufs premiers jours de notre séjour sont consacrés au test d’un programme concocté par Catherine sur la base de ses expériences passées. Notre objectif est de mettre en place avec Ibrahim et d’autres partenaires, une dynamique de tourisme équestre en élaborant des circuits à proposer à des tours opérators. Pour Catherine, qui nous a accueillis en nous annonçant que pour de multiples raisons, Ibrahim avait dû changer le programme, ce n’est pas gagné ! Pourtant nous sommes déjà tous sous le charme.

Le lendemain, nous partons pour le Mont Inal qui culmine à 2878m d’altitude. Les 4/4 nous emmènent jusqu’au fond de la vallée/canyon dont le village de Kergelen « garde » l’entrée. Nous suivons pendant plusieurs kilomètres le cours d’une rivière aux eaux tumultueuses avant de rencontrer nos chevaux qui ont été amenés là, au pied de l’Inal par Arcady (13). Ils sont nerveux, dansants, fins, musclés et comme nous, impatients de partir. Nous les chargeons de tout notre barda qu’Ibrahim nous a fait alléger au maximum (malgré quelques récriminations de notre part) plus de la nourriture pour plusieurs jours (entre autres : quartiers de viande d’un bœuf tué la veille). Enfin, nous entamons la montée vers les hauts plateaux.

Moments magiques. Nous suivons un petit chemin tortueux et pentu à l’extrême, à peine visible au milieu des fleurs de montagne de toutes les couleurs, si hautes et si denses qu’elles atteignent le ventre des chevaux qui semblent nager plutôt que marcher au milieu de cette végétation luxuriante. Après quelques heures de montée nous atteignons la cabane où nous accueille Aziz, le berger. Il se relaie avec un autre berger pendant tous les mois d’estive, de mai à fin octobre, pour surveiller les allées et venues des hordes de chevaux laissées en totale liberté.

La viande est mise à boucaner sur un petit feu de bois à l’intérieur même de la cabane et nous plantons les tentes. Deux grands chiens de bergers montent la garde à côté de la cabane. Ce sont des chiens sans queue ni oreilles ! Il a fallu les leur couper pour qu’ils n’offrent pas de prise aux loups qu’ils doivent de temps en temps combattre. Loups que l’on entendra hurler au loin la nuit. Nous repèrerons aussi des traces d’ours lors de nos ballades équines alentour. Les jeunes poulains sont leurs proies et ils en ont déjà dévoré deux depuis le début de l’été. Nous allons vivre quelques jours accrochés à ce plateau qui surplombe une falaise tombant à pic vers une vallée quasi inaccessible où, d’après certaines histoires invérifiées, serait cachée la tombe d’Alexandre Le Grand…. Ici, l’œil peut suivre, jusqu’à l’horizon, une succession de plateaux herbeux et vallonnés sans que ne le gêne aucun fil électrique ni téléphonique, aucune barrière, aucune route ni construction. Nous sommes posés entre ciel et terre à boire cette beauté et cette immensité. Nous goutons fort nos chevauchées matinales pour aller repérer et retrouver les troupeaux de chevaux sauvages, les observer, les laisser s’approcher car ils sont encore plus curieux que peureux… et simplement jalouser leur belle liberté. Ils n’ont encore jamais été touchés ni débourrés ni encore moins montés. C’est sans doute un des derniers endroits au monde où il est encore possible de voir ces troupeaux évoluer dans une si belle liberté.

Ibrahim possède aujourd’hui plus de 200 chevaux, répartis en plusieurs groupes. Nous verrons également bien d’autres troupeaux également en liberté sur les flancs des montagnes alentour. Nous constatons ainsi que la dynamique lancée il y 7 ans par Ibrahim et quelques autres a porté ses fruits. Ici, en Kabardino-Balkarie, Le cheval Kabardine n’est plus menacé de disparition. Une victoire encore fragile sur l’indifférence dans lequel ces chevaux étaient tombés. Une ombre au tableau : le ciel ne nous accompagne pas et de fortes pluies alternent avec quelques rayons timides de soleil. Le soir nous regagnons nos tentes heureux mais trempés et boueux à souhait. Un jour Ibrahim doit même renoncer à trouver la passe qu’il voulait emprunter pour descendre vers cette vallée aux tombes anciennes et mystérieuses, noyés que nous sommes dans un brouillard à couper au couteau.

NOUS SOMMES AU POINT DE DEPART DE LA ROUTE TRANSEUROPEENNE DU CHEVAL

Mais c’est dit, c’est entériné, c’est approuvé : la Transeuropéenne partira de là. C’est le lieu de naissance de ces fiers et magnifiques chevaux que nous souhaitons faire connaître au plus grand nombre. Nous avons maintenant tous rejoints le rêve qui a inspiré la création de l’association et nous nous projetons dans ce fameux jour du départ, lorsqu’ensemble, partant d’ici, nous aurons devant nous les 6000km sur lesquels nous nous relaierons aux côtés de Catherine et des trois chevaux de l’expédition.

Il faut pourtant redescendre et poursuivre nos découvertes et repérages.

Nous formons une équipe quelque peu disparate et complexe mais complémentaire. Chacun semble avoir trouvé sa place et en son sein se nouent de forts liens d’amitié. Catherine apporte outre sa fougue et son dynamisme habituels, ses contacts et l’expérience de ses voyages précédents. Elbrus, bien que né à Mâcon, est issu de la Diaspora Tcherkesse. Ses aïeux ont émigré en Turquie il y a plus d’un siècle et demi mais la langue kabarde est restée sa langue maternelle. C’est une chance pour nous car il nous sert d’interprète avec un brio et une disponibilité sans faille. C’est la première fois de sa vie qu’il découvre et foule la terre de ses ancêtres. Manu et son magnifique sourire permanent, ostéopathe-cavalier-baroudeur, toujours de bonne humeur a passé quatre ans de sa vie à parcourir le monde en le massant ! Il nous remet d’aplomb chaque fois que l’un de nous a un petit bobo. Rico, homme de cheval et éleveur, agriculteur bio, apiculteur, très impliqué dans le développement du tourisme équestre à la Réunion, discute ferme avec Ibragim et souhaiterait lui faire profiter de son approche éthologique qu’il a cultivée notamment auprès d’Andy Booth. Quant à moi-même, doyenne, cavalière et marin, je tente de relier le tout et songe aux éventuels produits touristico-équins à faire opérer par des professionnels après l’expédition de la Transeuropéenne. Il est certain que l’association a encore aujourd’hui et sans doute pour un bon nombre d’années, une petite pierre à apporter au développement touristique de la région et à la promotion de ses chevaux.

De retour à Naltchik, nous retrouvons la petite communauté catholique animée par le Père Laurent que nous avions rencontré le jour de notre arrivée. Il y a trois ans, le Père Laurent était « tombé » sur le site internet de Cheval Sans Frontières. Il y avait « découvert » les Kabardines, apprécié le projet de la Route Transeuropéenne du Cheval et pris contact avec Catherine qui l’avait mis en relation avec Ibrahim. Aujourd’hui, ce sont 4 chevaux, une petite écurie, un rond de longe, l’énergie et la passion du Frère Karl et de quelques bénévoles qui sont mis à la disposition des enfants du village de Blagoveshenka, à 45 km de Nalchik. Le cheval comme facteur pédagogique et stabilisateur pour des enfants laissés à eux même et déstructurés. Nous sommes tous heureux que CSF ait participé, même modestement, à cette initiative et nous ferons en sorte de continuer.

L’ELBROUZ, LE PLUS HAUT MONT DE L’EUROPE GEOGRAPHIQUE RESTE CACHE DANS LES NUAGES : PARTIE REMISE.

Mais le programme continue et nous avons enfin rendez-vous avec l’Elbrus. Ce sommet mythique du Caucase n’a pas daigné se dévoiler depuis notre arrivée. Deux heures de route et un minibus nous emmènent à son pied dans une petite bourgade, style station de sports d’hiver. Nous prenons un télésiège sous une pluie battante, dans le froid et le brouillard. Nous devons nous rendre à l’évidence : Nous ne verrons rien encore aujourd’hui. En compensation, nous nous réfugions dans un café où l’aubergiste nous voyant débarqués tout ruisselants allume un grand feu de cheminée pour nous sécher. Pas d’Elbrouz mais nous sacrifions tous au marché local et nous achetons chacun un « papakha », chapeau en laine, digne des plus fiers montagnards.

Ici s’achève la première partie de notre séjour. Concernant le « produit touristique », verdict de Catherine : génial, ni fiable, ni rentable ; de Rico : nous sommes dans le paradis du cheval mais ce séjour ne peut concerner que des aventuriers soit 10% de ma clientèle. Nous sommes au tout début de l’aventure touristique. Il faudra du temps et encore beaucoup d’allers-retours pour que tous les partenaires soient sur la même longueur d’onde concernant le respect du programme, la qualité des services et des équipements, le choix d’une cavalerie adaptée aux randonneurs et sur tous ces détails essentiels qui font qu’un produit touristique peut se vendre.

DEUXIEME PARTIE DU SEJOUR : LE CAUCASE NOUS OFFRE L’AVENTURE !!!

Pour la deuxième partie de notre séjour, même Catherine est en terrain inconnu. Ibrahim nous propose de participer à une expédition jusqu’aux pieds de ce fameux Elbrouz. Cette expédition est organisée par plusieurs groupes d’alpinistes venus de Kabardino-Balkarie mais aussi de Biélorussie et de Karatchaï pour célébrer les 180 ans de la première ascension de l’Elbrouz.

Le 22 juillet 1829, Killar Khashirov, un guide kabarde travaillant pour une expédition scientifique de l'Armée russe dirigée par le Général Emmanuel escalade en effet pour la première fois le sommet oriental. Une conférence de presse est prévue à Naltchik pour annoncer la participation du groupe kabarde dirigé par Ibrahim auquel se joint notre équipe française. Rico et Manu qui repartent le lendemain ont l’honneur de participer à la cavalcade dans les rues de Naltchik au milieu des voitures et du trafic, depuis l’hippodrome jusqu’à la Place centrale où nous attendent orchestre, officiels et journalistes.

ENTRE KABARDES ET COSAQUES…

L’expédition elle-même démarrera de Piatigorsk, charmante petite ville avec ses cafés et restaurants à l’ancienne, distante d’à peu près 60 kms, où nous rejoignons un groupe de cosaques dirigé par leur « Ataman », Valéry Pomatov.

L’ataman (d’où aussi le nom d’Empire ottoman) est le chef élu, aimé et respecté d’un groupe de cosaques. Cantine militaire, tentes militaire, camion militaire, treillis militaires, armes, poignards à la ceinture, air patibulaire… de quoi nous troubler et mettre Elbrus en émoi, d’autant que les Cosaques sont représentent pour lui l’ennemi héréditaire. Dans la mémoire collective de la diaspora Caucasienne, le cosaque est celui qui brûlait les villages, pillait, violait et faisait fuir les habitants… Mais quelques années après le grand exode des Caucasiens (en 1864), éclatait la Révolution soviétique. Les Cosaques, partisans des Blancs devinrent eux aussi une minorité menacée par le pouvoir. Depuis, alliances et amitiés se sont développées entre les deux communautés. C’est Ibrahim qui leur a demandé d’accompagner l’expédition pour assurer la logistique et la protection de notre groupe !

Parmi eux, Nicolaï, aujourd’hui entrepreneur et homme d’affaires de Stavropol a passé les trois quarts de sa vie en France où sa famille avait émigré dans les années 20. Il s’exprime donc dans un français parfait et sa présence est une grande chance car il nous conte une foule d’anecdotes et d’histoires pour nous faire connaître l’histoire de son pays et pour nous convaincre que les Cosaques n’aspirent aujourd’hui qu’à être un lien, un élément de paix et de liaison entre tous les différents peuples de cette région, plus d’une centaine d’ethnies le long du Caucase entre Mer Noire et Mer Caspienne. Ethnies entre lesquelles l’entente n’est pas toujours cordiale…

ICI, ENTRE CHEVAL ET 4X4, LE CHEVAL L’EMPORTE…

Pendant trois jours, avec notre groupe de cosaques de légende échappés de l’histoire, nous alternerons quelques chevauchées et sections en camions 4/4 par des chemins boueux où nos véhicules s’enlisent gentiment. Nous suivons des routes avec des à pic vertigineux et traversons des rivières quelque peu agitées en empruntant des ponts/passerelles dignes d’Indiana Jones, le tout sous une alternance de soleil, de brouillards et de pluies.

Au dernier virage avant d’arriver au camp de base au pied de l’Elbrouz, point de départ de l’ascension qui sera tentée par les différents groupes d’alpinistes, il faut renoncer à faire passer les camions. La pluie des jours précédents a tellement raviné le semblant de chemin que des ornières profondes d’une hauteur d’homme se sont creusées interdisant toute tentative de descente. Leçon de l’histoire et démonstration, s’il en était encore besoin, de la place que peuvent encore et toujours tenir les chevaux dans notre monde moderne, ce sont nos kabardines qui sont nos transporteurs. Tout le matériel, tentes, nourriture et autres est chargé sur leurs dos et ils effectuent vaillamment autant d’allers et retours avec traversée de rivière entre camp et camions que nécessaires.

L’ELBROUZ : ENFIN !!!

Notre camp est établi sur une petite plaine surplombant une rivière, encastrée au milieu des montagnes à 2000m d’altitude. C’est un espace propice à de magnifiques cavalcades au grand galop. Nous sommes à un peu plus du tiers de hauteur du Mont Elbrouz, volcan éteint couvert de neiges éternelles dont les deux sommets culminent à 5642 m et à 5638m. Oui, deux sommets jumeaux comme si un géant armé d’un gigantesque « kinjal », poignard caucasien porté à la ceinture, y avait porté une violente entaille. Nous contemplons la plus haute montagne d’Europe mais elle ne se laisse découvrir que quelques heures par jour, généralement au lever du soleil avant que les nuages ne s’accrochent à ses sommets.

Nous savourons ce magnifique, étonnant et émouvant Caucase. Ici se confondent tous les verts que même un peintre aurait peine à imaginer : forêts sombres ponctuées de bouleaux argentés auxquelles succèdent des plaines à l’herbe rase, presque des steppes elles-mêmes suivies de montagnes escarpées. Cette terre a vu mille combats, ici se sont entrechoqués, ont guerroyés, se sont alliés, épiés tous ceux venus du nord, du sud, de l’est et de l’ouest, qui ont voulu et souhaité réduire au silence ces descendants des amazones et des hittites.

Les Caucasiens sont beaux. Leurs visages sont rudes, taillés au couteau, austères mais les yeux même graves restent rieurs. Les attitudes sont hiératiques surtout lorsqu’ils dansent. Les danses tout comme leurs chants entonnés en chœur racontent des histoires d’amour, de guerres, d’honneur et de liberté. Autour de nos tentes courent les petits chiens de prairie, sortes de gros écureuils sans queue qui n’arrêtent pas de papoter et de s’appeler d’un terrier à l’autre. Par moment d’immenses troupeaux de chèvres ou de moutons dévalent les pentes poussés par des bergers centaures vissés sur leurs chevaux.

Nous nous habillons et nous déshabillons « vingt fois » par jour. Nous sommes en montagne et pouvons passer subitement de 30° quand le soleil tape à 10° ou 12° trois minutes plus tard quand le vent s’en mêle et nous apporte de gros nuages de pluies torrentielles.

Les Caucasiens et les cosaques mangent beaucoup et quasiment toute la journée quand ils n’ont rien à faire, principalement de la viande de bœuf ou de mouton bouillie, grillée, boucanée ou tout simplement séchée au soleil. Pas de porc. Les kabardes sont musulmans. Peu de légumes, hormis de rares tomates et concombres. Quelques fruits et des fromages fumés. Pas de couverts non plus. Chacun a son couteau et se débrouille avec ses doigts. Nous buvons beaucoup de thé … sucré, salé, aromatisé aux herbes et/ou aux fleurs.

MAGIQUE !

Entre ces chevaux licornes et ces mille fleurs il ne manque que la dame … ! Un vieil homme de 75 ans, familier des lieux raconte avoir croisé dans la montagne un léopard des neiges, nous ignorions même que cela existât mais après tout nous ne sommes pas si loin du Mont Ararat et nous serions tentés de croire qu’une partie de ceux qui descendirent de l’Arche, devant la magie des lieux, aient choisi de ne pas aller plus loin… Bien que des penseurs et philosophes de haute volée nous aient souvent prévenus qu’il était néfaste de se laisser envahir par les émotions, ici elles nous submergent, nous les recevons et nous laissons faire avec délices.

Nous serons déjà de retour à Nalchik, lorsque nous apprendrons avec soulagement que les alpinistes ont quasiment tous atteint le sommet et que tous sont redescendus sains et saufs.

Si pour Catherine, le retour vers Naltchik s’est fait à cheval sous une pluie battante avec des étapes longues et harassantes pour les chevaux et les cavaliers, je rentre en 4/4 avec Elbrus et Slavik qui nous a accompagnés pendant toute cette aventure. Slavik s’est montré initiateur, instructeur passionné de sa culture. Il nous a communiqué une abondance d’informations sur l’histoire, l’art, les valeurs, le comportement, les us et coutumes de cette partie ouest du Caucase. Il fut aussi non seulement un hôte attentionné mais aussi un guide et montreur averti de cette ville où il vit avec sa famille et où s’exprime tout son art. Nous tenons ici à lui manifester non seulement toute notre admiration pour son travail mais aussi toute notre reconnaissance et notre amitié.

Que soient aussi remerciés Hussein, le jovial cousin d’Elbrus, son épouse et toute sa famille. Tous nous ont ouvert les portes de leurs maisons et accueillis plus que chaleureusement. Enfin et surtout mention spéciale à Ibrahim, le Lion de Naltchik et c’est par lui que nous aurions du commencer, à sa famille et à tout son clan, Zamir, Albert et les autres qui se sont mis en quatre pour faire que nous nous sentions plus hôtes que visiteurs.

Au retour, nous étions tristes et perdus mais nous vous avons gardé une bonne nouvelle pour la fin de cette histoire. Au cours des conversations échangées avec Nicolaï, Valery et les cosaques sous la tente pendant l’expédition sur l’Elbrouz, nous avons bien sur longuement parlé du projet de La Transeuropéenne. Ce projet les a enthousiasmés et nous avons eu l’heureuse surprise quelques temps après notre retour d’apprendre qu’ils avaient décidé de créer de leur côté une association « Cosaques sans frontières ». Celle-ci est d’ores et déjà opérationnelle et une convention a été signée entre les deux « CSF ».

Cosaques sans frontières (Козаки без границ) accompagnera la Transeuropéenne pendant tout son parcours sur le territoire russe et ukrainien et lui fournira la logistique pour les hommes et les chevaux. En kabarde le même mot peut signifier amour et/ou connaissance alors à tous nous crions :

Chlaneroi ! (à prononcer en chuintant)

Claire et toute l’équipe Cheval sans Frontières

(1) Catherine a fondé CSF en 2003 et en est sa principale animatrice et pétillante Présidente. Dans la vie civile, elle est vidéaste et réalisatrice de films documentaires. Elle projette d’accomplir avec 3 chevaux kabardines l’intégralité du parcours de la Transeuropéenne.

(2) Claire, a rejoint CSF en 2006. Elle en est la Secrétaire. Après avoir œuvré dans le tourisme et plus tardivement dans la construction elle vient de prendre récemment sa retraite. Elle est cavalière et marin. En dépit de son emménagement à l’île de la Réunion, sa présence au sein de CSF s’est intensifiée. Elle est récemment gr and’mère d’une petite fille.

(3) Elbrus, jeune informaticien, bien que né à Mâcon il est issu de la Diaspora Caucasienne. Il a rejoint CSF en 2004 et Catherine lui a proposé d’en devenir officiellement co-fondateur et Trésorier. Il a également fondé NART, une association qui a pour but la diffusion de la culture Caucasienne notamment par l’animation d’un groupe de danses traditionnelles. Il a de grands fous rires communicatifs. Il va bientôt se marier.

(4) Manu e t son magnifique sourire permanent est ostéopathe-cavalier-baroudeur. Il a passé 4 ans de sa vie à parcourir le monde en le massant. Il est papa d’un petit garçon.

(5) Rico n’hésite pas à organiser des randos pour ses clients et amis aux quatre coins du monde. Il est homme de cheval, éleveur, agriculteur bio et apiculteur. Il est très impliqué dans le développement du tourisme équestre à la Réunion où il habite. Il y anime un centre équestre avec sa fille Fanou, disciple d’Andy Bo oth. Le projet de la Route Transeuropéenne l’inspire et il compte bien y participer d’une façon ou d’une autre.

(6)Ibrahim, est éleveur de chevaux. Il persévère depuis des années à pratiquer un élevage traditionnel et accompagne ses chevaux en transhumance tous les étés pour les laisser libres d’agir à leur guise en totale liberté. Il les destine prioritairement aux courses d’enduro. Après avoir rencontré de graves difficultés il y a quelques années, il possède maintenant un cheptel de plus de 200 chevaux.

(7) Slavik, est un artisan artiste hors pair. Il sa it travailler le bois, le cuir, les métaux. Il peut aussi broder et tisser. Il est en permanence et avec avidité à la recherche des savoirs ancestraux qu’il souhaiterait faire revivre.

(8) Sacha, est ferronnier et dinandier. Il travaille à l’ancienne sans moules et fabrique de magnifiques jarres et objets en cuivre. Dans le même esprit que Slavik, il se veut l’héritier et le continuateur des traditions et des savoirs ancestraux.

(9) Ruslan Tsyrim est peintre et sculpteur.

(10) Larissa, est universitaire, elle vit à Naltchik où elle enseigne le français. Elle a écrit une thèse sur le parallèle entre le kabarde et le français.

(11) Hussein, est le cousin d’Elbrus. Il y a quelques années, il a décidé de quitter sa Turquie natale pour s’implanter sur la terre de ses ancêtres. Après beaucoup de difficultés, il a créé une florissante entreprise de boulangerie. Il est marié et a deux filles.

(12) Zamir, est un ami d’Ibrahim. Il a passé 5 ans aux Etats-Unis et parle parfaitement anglais. Il a plein de projets et est bien décidé d’une part à défendre et promouvoir la culture kabarde et d’autre part à s’investir totalement pour participer au développement de l’économie locale.

(13) Arcady, est le frère d’Ibrahim, il s’occupe de la Ferme Guaran, des chevaux et de l’exploitation familiale.

(14) Père Laurent dynamique responsable de la petite communauté Catholique de Nalchick et du village Polonais de Blagoveshenka, il a développé avec le Frère Karl un petit centre équestre au profit des enfants du village.

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30 août 2006

L’origine du projet

Coup de foudre pour les “petits frères” du Caucase

« Ils étaient des milliers en 1990, ils ne sont plus que quatre cent aujourd’hui. Les Kabardines du Caucase sont les chevaux de montagne parmi les plus résistants du monde. Leur espèce s’éteint et avec elle tout un mode de vie. » Lorsqu’un confrère caméraman m’a parlé en ces termes et avec enthousiasme des projets du seul éleveur caucasien à tenter de les préserver, j’ai eu la conviction désarmante que « quelque chose de déterminant » allait m’arriver. Mon ami me proposait de le remplacer sur le tournage de la transhumance de ces chevaux. Dix jours plus tard, j’étais à Naltchik, la capitale de la République russe de Kabardino-Balkarie. Cette décision coup de foudre a tout simplement changé ma vie.

28 mars 2002 – 20 h – La nuit est tombée.

Soudain, un choc. Violent, sourd et de sinistre augure… Puis tout s’enchaîne : les sanglots hystériques des femmes, les hennissements des bêtes affolées, les cris agressifs des hommes, le rugissement des moteurs et les klaxons insistants des véhicules qui continuent à arriver très vite. Le troupeau est en débâcle. La jument percutée de plein fouet gît inerte dans la lueur des phares. Elle était pleine et allait mettre bas. Les passagers du petit 4X4 russe sont sonnés mais indemnes. Les femmes pleurent sous le choc mais c’est aussi leur rôle. Dans le Caucase, les drames s’accompagnent de femmes en larmes.

Avec les gestes précis d’un acteur qui connaîtrait les scènes de toutes les tragédies, Ibrahim Yagan rassure une vieille dame, fonce à grandes enjambées vers la voiture immobilisée au milieu de la route, allume ses feux de détresse, rejoint sa jument condamnée et, à peine aidé de quelques badauds, la tire sur le bas-côté. Dans la pénombre du fossé, il sort son couteau, achève l’animal, se relève et crie à son frère de reprendre le contrôle du troupeau avant qu’un autre accident n’ait lieu.

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Les Kabardines sont le fruit de multiples croisements entre des chevaux mongols, persans, arabes et caucasiens. À partir du 16e siècle, ils ont fait l’objet d’une sélection visant à développer chez eux les capacités extraordinaires propres à en faire le parfait cheval de combat en montagne dont avaient besoin les guerriers caucasiens. On leur reconnaît non seulement une endurance exceptionnelle mais aussi une grande frugalité, un naturel calme, un pied sûr et une capacité à endurer sans difficulté des chutes brutales de température et de pression.

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Au début siècle il y en avaient 800 000, autant d’habitants. La modernité, la politique soviétique les ont drastiquement réduits et les ont concentrés vers deux principaux débouchés : l’armée et le tourisme équestre. Avec la chute de l’URSS, l’armée russe a mis fin à ses commandes, le tourisme aussi a périclité. Faute de moyens et de marchés, les kolkhozes ont été abandonnés et les Kabardines vendus aux abattoirs. Ibrahim Yagan y a acheté son premier étalon. Ce cheval, réputé et référencé, lui a permis de commencer son élevage avec l’ambition de recentrer les Kabardines sur les qualités qui avaient fais leur réputation et que les croisements récents avec des pur-sang anglais commençaient à diluer. Depuis 10 ans, il s’obstine ainsi avec sa famille à relancer un élevage traditionnel utilisant, à la fois par conviction et manque de moyens, la pratique ancestrale de la transhumance depuis longtemps abandonnée.

Gardés en hiver dans la plaine, les chevaux étaient jadis, chaque année vers le mois de mars, conduits dans les hauts pâturages du Caucase et laissés en semi-liberté pendant huit mois. À 3 000 mètres d’altitude, l’air est pauvre en oxygène et de fait équivalent pour le cœur à un niveau d’effort important. Les chevaux développent alors naturellement une grande résistance. Pour Ibrahim Yagan, en montagne, la meilleure façon de nourrir un cheval est de ne pas le nourrir et la meilleure façon de le soigner est de ne pas le soigner : “À quoi serviraient la nourriture de la plaine et les médicaments des pharmacies”, dit-il, “alors que la montagne fournit tout le nécessaire et que les chevaux connaissent mieux que quiconque l’alimentation et les plantes essentielles à leur équilibre”.

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Mais cette conception de l’élevage est loin d’être reconnue. En Kabardino-Balkarie, l’heure n’est plus aux méthodes du passé. L’urgence est de s’aligner sur les critères d’efficacité, de rentabilité et surtout de performance immédiate, venus tout droit d’Occident. Alors ici, on n’investit plus dans le cheval. La race s’éteint dans l’indifférence, au mieux sous le regard nostalgique de quelques-uns.  

Les 50 kilomètres parcourus aujourd’hui dans la vallée ont été une succession de routes, de dépotoirs, de banlieues-champignons et de nouveaux chantiers. Dans ce brouillon de modernité occidentale, le déplacement des chevaux paraissait anachronique, gênante intrusion d’une pratique ancestrale dans un milieu aux traditions déracinées.

Nous retrouvons le reste du troupeau un kilomètre plus loin. Ici aussi des véhicules sont à l’arrêt et certains sont cabossés. Des hommes discutent bruyamment, tous sont saouls. Lorsque Ibrahim arrive, il est immédiatement pris à parti. Le propriétaire d’un véhicule endommagé réclame de l’argent et menace d’appeler la milice. La présence de ma caméra a toutes les chances de faire monter les enchères et d’enflammer le débat. Je m’éclipse tandis qu’une voiture fonce dans le fossé et se retrouve coincée en équilibre sur ses pare-chocs arrière et avant, les 4 roues tournant frénétiquement dans le vide !...

Cet épisode a coûté à Ibrahim une jument pleine, 500 dollars pour la première voiture et 500 pour la seconde.  

Cette année, la transhumance n’a fait qu’une seule victime. Il y a deux ans, il y en a eu sept mortellement touchés par un conducteur ivre.

De la victime de la nuit, il ne reste au petit jour, que ses entrailles et 4 sabots qu’un chien grignote tranquillement. Aujourd’hui, la jument et son petit seront servis au menu des villageois. Ibrahim ne fait aucun commentaire et je n’en demande pas. L’affaire est close et les vivants plus préoccupants que les morts. Il reste 115 chevaux et encore 50 kilomètres avant d’atteindre notre prochain arrêt. Alors malgré les épreuves et la fatigue d’une nuit blanche, Ibrahim affiche avec le sourire une vigoureuse détermination. Plus tard, il me confiera l’avoir échappé belle, la jument morte ayant servi de tampon entre son propre cheval et la voiture qu’il n’avait pas venu venir.

Transhumance









 

L’impression que l’on ressent dans cette région du monde, je ne l’ai ressentie dans aucune autre. Il y a ici les vestiges d’une économie qui fonctionnait il y a dix ans encore. Et ce n’est pas la guerre qui l’a détruite. Les hommes, un jour, ont tout simplement quitté ces bâtiments. Il n’y avait plus d’argent, plus d’électricité pour les faire fonctionner, on ne savait plus ni pour qui, ni pourquoi travailler, où écouler la production. S’il n’y avait plus de quoi nourrir les animaux, les animaux au moins pouvaient nourrir les hommes. Ainsi fut dilapidé le capital. Restent des bâtiments désertés qui n’intéressent les directeurs que lorsque que quelqu’un d’autre s’y intéresse. Seulement voilà, dans l’actuelle Fédération de Russie, l’État possède encore la terre. Bien sûr, l’argent peut beaucoup, aussi faut-il en avoir… beaucoup…

En 1992, Ibrahim et sa famille ont bénéficié d’une redistribution des terres du kolkhoze dans lequel il travaillait non loin de la capitale. Il est un des rares entrepreneurs agricoles de Kabardino-Balkarie à avoir su exploiter ses terres. Aujourd’hui, le gouvernement revient sur ses décisions passées et renie l’acte de propriété délivré dans la période d’euphorie libérale. Une nouvelle loi sur la propriété est en discussion et le prix du terrain ayant augmenté, l’idée est de le remettre en vente avec davantage de profit. Le gouvernement considère donc que les terrains n’ont fait l’objet que d’une location et réclame à Ibrahim  le montant du loyer impayé !

Ce matin, comme hier, la journée s’annonce belle. Ici, d’un jour à l’autre, il est difficile de prévoir le temps. Avant-hier, il neigeait et la montagne était impraticable. Le soleil pointe à peine ses premiers rayons et il fait encore très froid. Ibrahim a sorti sa burqa. En laine feutrée de mouton noir, c’est une sorte de long poncho rectangulaire qui couvre jusqu’à la croupe du cheval et qui donne à celui qui le porte des allures de centaure en parade.

 

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De ce côté russe du Caucase, l’entrée des montagnes fait penser à un Grand Canyon boisé. Ce sont de hautes falaises de calcaire, jaunes ou roses selon l’heure. Elles tombent à pic et à certains endroits de 1 500 m, dans des vallées escarpées et exiguës, au fond desquelles rugissent des torrents tumultueux. Le chemin est pierreux et escarpé. L’ascension est certes fatigante mais les chevaux sont maintenant dans leur élément. À la tombée de la nuit, nous sommes à 1 800 m dans de vastes pâturages que domine la carcasse d’un hôtel jadis renommé. Les chevaux vont passer un bon mois dans ce cadre de transition avant de gagner leurs pâturages d’été encore enneigés.

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Mai 2002

Départ pour la dernière étape : huit heures de descente puis de remontée sur des sentiers trop étroits pour deux chevaux côte à côte et tout juste tracés sur les flancs abrupts. Mon cheval, Elbruz, a 11 ans et c’est déjà un vieux routier. C’est un des rares chevaux blanc kabardines (la plus part sont noirs, les autres bais). Elbruz a été le compagnon du Prince Ali de Jordanie lorsque ce dernier a entrepris avec Ibrahim le raid Aman/Naltchik en 1998. Rien d’étonnant qu’il snob gentiment mon inexpérience mais s’il n’en fait « qu’à sa tête », il est certain qu’il est bien « dans ses sabots » et de bonne composition. Je peux tranquillement me contorsionner avec ma caméra sans le perturber.

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Les Kabardines sont arrivés au terme de leur parcours d’un pas ferme et régulier sans précipitation ni apparente fatigue. Chaque groupe est conduit dans un enclos pour la nuit - l’étalon, les juments et leur petit d’un côté, les jeunes mâles d’un autre et les pouliches dans un troisième. Demain, ils seront livrés à eux même sous la surveillance attentive du berger : l’année passée cinquante chevaux ont été volés ! Les loups sont également nombreux dans les environs. Fuyant les bombes qui ravagent la Tchéchénie, ils trouvent refuge en Kabardino-Balkarie et ne manquent pas d’attaquer régulièrement les poulains.

 

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En fin de journée, à l'heure des lumières du couchant, un épais brouillard émerge de la vallée. Des bruits sans origine précise rebondissent dans la brume et font des ricochets sonores qui semblent ne jamais vouloir s'arrêter.

La nuit est glaciale. Les chevaux sont agités et les chiens hurlent. Plusieurs tournées d’inspection sont nécessaires pour s’assurer qu’aucun danger ne menace.

Le lendemain, tandis que le troupeau s’éloigne tranquillement, Ibrahim confie à ma caméra ce que je ferais traduire plus tard (Ibrahim parle kabarde et russe, je parle français et anglais…).

« Tu vois, il y a des hommes qui peuvent regarder longtemps le feu brûler, l’eau couler ou comment travaille un autre homme. Il y a deux choses qu’un Tcherkesse peut regarder pendant longtemps : son cheval en train de paître et son arme. Son cheval et son arme caractérisent le Tcherkesse, ses occupations, sa culture et son mode de vie. »

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Et d’ajouter,

« Les Tcherkesses vivent dans un pays magnifique qui a attiré bien des envahisseurs. C’est pourquoi leur mode de vie et leur culture ont toujours été orientés vers la défense de leur pays, de leur maison et d’eux-mêmes. Une mission impossible sans l’aide de son ami, son frère fidèle : son cheval. D’ailleurs, en langue Kabarde, « ché » (cheval) veut dire : petit frère. Si nos chevaux venaient à disparaître, notre peuple, notre culture, notre « coloris » disparaîtrait aussi. Nous deviendrions alors quelque chose de gris, sans distinction particulière des autres peuples. La civilisation du monde perdrait ainsi, encore un peuple, une langue, une culture unique. »

Le Kabarde est une langue à la prononciation sophistiquée, avec un nombre impressionnant de consonnes les unes à la suite des autres qui font faire à la langue, du fond du palais au bout de lèvres, des exercices de style digne d’un contorsionniste. Mais ne pas comprendre ce qu’il disait ne m’en rendais pas mois limpide ce qu’il pensait. Les gestes, les faits, les actes … Il n’y a pas que les mots qui parlent.

 

Pour Ibrahim, le seul moyen de sauvegarder ces chevaux est de leur trouver de nouveaux débouchés. La Russie, à l’économie encore titubante, finira par retrouver son équilibre et de toute évidence un fort potentiel touristique. Mais son regard est aujourd’hui tourné vers l’Occident et Ibrahim me confie que son seul espoir d’attirer l’attention en Russie est de faire reconnaître ses chevaux en Europe.

Il est encore tôt et la rosée fait briller un parterre de fleurs multicolores. Le silence est saisissant et met en perspective le moindre gazouillis et l’écoulement paisible d’un petit ruisseau. Alors, je ne sais par quel cheminement inconscient, des idées font surface et se rejoignent avec une évidence troublante. Le rêve d’Ibrahim se connecte avec un désir que je cultive depuis longtemps : vivre à l’heure d’une Europe en train de se construire pacifiquement pour la première fois de son histoire. Pourquoi ne pas faire connaître les Kabardines à l’occasion d’un parcours européen, mieux : rencontrer les Européens autour d’une passion commune, celle du cheval, des chevaux rares ou en voie de disparition, et pourquoi pas : tracer chemin faisant une Route Transeuropéenne du Cheval !... Et pourquoi pas !

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Quand tout est dit il ne reste plus qu’à faire…

Depuis 2002, je ne compte plus les voyages qui m’ont conduit à nouveau dans le Caucase, en Allemagne, en Pologne, en Slovaquie... Le projet de la Route transeuropéenne du Cheval tisse lentement et profondément un réseau de passionnés, convaincus que depuis que l’humanité a le pouvoir de détruire la biodiversité, il a surtout le devoir de la préserver. Reste à incarner ce constat au fil d’une Europe Nature parcourue au rythme serein d’un cheval au pas...

Catherine Michelet

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10 juin 2006

Repérages dans les Pyrénées – Mai 2006

L’aventure commence avec Catherine et Tania à Quillan, dans l’Aude, par l’accueil chaleureux du Docteur Willenbrink, l’un des rares propriétaires de chevaux Kabardines en France. Notre hôte à l’age des récits palpitants d’une vie bien remplie où s’enchaînent souvenirs d’un vétérinaire en Afrique, ceux d’un éthologiste d’avant-garde, d’un randonneur de grands chemins, d’un cow-boy allemand amoureux de ses Kabardines du Caucase. Notre première soirée est déjà un voyage.

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25 mai

Le moment tant espéré pour Tania et moi arrive enfin : la rencontre avec les Kabardines…  Elevés en liberté sur les plateaux calcaires de l’Aude, ceux du Docteur Willenbrink manifestent réellement une présence, une docilité et une confiance remarquables, de quoi piquer à vif notre rêve de rencontrer les Kabardines dans leur berceau d’origine…

Dans l’après-midi cap sur Pivert où nous rejoignons le forum du CALC (cavaliers au long cours) qui bat son plein d’ateliers, discussions, projections... Fusion bouillonnante entre rêveurs et accomplisseurs de rêves … Avec pour nous le sentiment d’être dans un élément sinon encore familier en tout cas prometteur de magnifiques échanges.

26 Mai

L’ambiance, l’ouverture de tous, nous retiennent irrésistiblement mais le repérage nous attend… Nous laisserons Catherine pour trois jours pleins de conseils et de belles rencontres.

Fin de matinée, nous atteignons le Bureau des Guides Equestres Transpyrénéens, loti dans la verdure aux alentours de Dun, en Ariège.

Auprès de Charlotte et Eléonore, deux jeunes femmes brunes sympathiques et réactives, le tracé de la Route prend forme. Conseils, infos et nous revoilà sur les routes, de plus en plus sinueuses et montagnardes, avec vue plongeante sur les torrents exubérants de la Vallée de la Bellongue. Après moults passages de cols, sur la route de Mente près de Sengouagnet, nous gagnons l’antre de Agathe et Philippe Monpagens « la Ferme de PAOUMOULA », en Haute-Garonne. Oxygénation, orchidées sauvages et Gypaète Barbu au programme. L’écotourisme, c’est leur credo.

Agathe et Philippe y tiennent chambres d’hôtes et élèvent des quarter horses. Attentifs à nos paroles - ce n’est pas tous les jours qu’on vient leur proposer d’accueillir les futurs voyageurs de la Route Transeuropéenne du Cheval - Agathe et Philippe nous livrent la suite du tracé. Après quoi, une visite s’impose auprès des Quarters dans leurs pâtures magnifiquement loties près d’une rivière dans un site Natura 2000 tout droit tiré d’un Torgal et anciennement territoire de l’ourse Melba…

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Cette escale définit les contours d’une collaboration originale et simple avec ceux qui ont relevé le défi de rester aux confins riches de leur nature préservée. Un petit moment de bonheur qu’il nous tarde déjà de revivre à l’occasion du passage de la Route.

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L’ombre qui glisse sur le flanc des montagnes nous rappelle à notre 3ème rendez-vous. Direction : l’association Urukaî qui sera aussi notre étape du soir dans les Hautes Pyrénées.

Laurence Eyquem et Jeannot nous attendent pour dîner avec Jessica et Lise Pacholder, deux frangines, la première monitrice au centre équestre Lou Cassou et cavalière ATE pour la seconde. Toutes deux ferventes actrices du Tourisme Equestre. Pas de surprise, nos hôtes sont pleins de spontanéité et de joie de vivre, confirmant la sympathie ressentie dès les premiers contacts téléphoniques.

L’association Urukaî est un relais équestre situé dans le centre artisanal de Rebouc.  

Laurence possède une dizaine de chevaux et propose des randos en été. Elle s’est lancée dans le shiatsu équin et valide bientôt sa formation.

Au cours du dîner, visionnage du film sur les Kabardines réalisé par Catherine. Découverte et questionnements sur cette race… Et en bonus une mascotte pour le reste de la soirée avec le poulain du film surnommé dorénavant « Poulinou»  dont les kilomètres avalés pendant son premier jour de vie inspirent admiration et compassion. 

Le lendemain matin, 27 mai, après les bonnes crêpes de Jeannot, (merci Jeannot !) débriefing de nos premières rencontres et départ remis après le déjeuner sur invitation expresse de

Laurence et Jeannot… Ce fameux duo fut un point fort de notre repérage et on l’espère le sera tout autant lors du passage de la Route Transeuropéenne du Cheval.

Avant de rejoindre le festival Eldorando, arrêt à la ferme Couhet, centre équestre tenu par Jean Louis Birou et Sabrina à qui nous présentons le projet. Conseils, échanges et c’est reparti cette fois pour l’Eldorando dans la Vallée d’Aspe, à Accous, un site somptueux. Nous y retrouvons Philippe de Boissezon (C.E Fébus à Lasseubetat), fort d’une belle expérience du Tourisme à cheval en Pyrénées Atlantiques … et prêt à nous la faire partager, cartes sur table. Petit dîner décontracté sous les étoiles en sa compagnie puis nous décidons d’aller planter la tente avant d’aller prendre un verre au concert du festival. Bien que fatiguées et imprégnées de notre « promotion kabardines », nous tombons dans l’agréable traquenard de la faune bigarrée du festival, de quoi suspendre notre sommeil… jusqu’au matin.

28 mai Journée de prospection sur les stands, quelques belles collaborations en découleront peut-être comme des tests de matériels sur la Route ou des intervenants sur les forums : Dan Leconteur, conteur comme son nom l’indique, Jean-Marc Percier et sa Yourte Mongole…  Après le buffet de clôture de l’Eldorando 2006, deuxième nuit sur site mais cette fois ci, tente à l’écart, sommeil oblige !

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29 mai, Nous poussons finalement notre repérage plus loin que prévu, -pas assez pour Albane qui sent déjà l’appel de la Mer- jusqu’à St Palais entre Pau et St Jean Pied de Port.

Rencontre avec Peïo Guelot. Fidèle à son pays Basque, Peïo s’enthousiasme pour l’aspect valorisation culturelle de la Route. Président de l’association « à cheval tous ensemble » et initiateur du chemin des Contrebandiers, c’est sur les frigos de sa boutique d’électroménager qu’il nous offre ses conseils de pro et son carnet d’adresses. Pour sûr il est et sera avec nous dans l’aventure. Brio Peio !

Le timing est serré mais tenu, nous serons ce soir en compagnie de Catherine (plus qu’enthousiasmée de son week-end au CALC) pour un dîner réunion avec le CRTE (Comité régional du tourisme équestre) Midi Pyrénées. Quelques heures plus tard au sortir du restaurant, le sourire enthousiasmé de Philippe, Marie-Pascale et Pierre-Jean ainsi que le rendez-vous prévu à l’automne pour une projection conférence signe un partenariat naissant. Que de bonnes nouvelles !

Une dernière petite discussion tardive mais pleine d’énergie entre nous avant de reprendre nos routes : Catherine pour Paris, nous pour le petit paradis de Tania dans le Tarn.

Notre repérage touche à sa fin mais André Roudouleusse meneur de randonnées à l’international (les Pyrénées à cheval) que nous visitons in extremis le 30 mai nous épate… Il s’intéresse aux Kabardines et connaît le Docteur Willenbrink. La boucle est bouclée.

Une dernière belle journée récapitulative chez Tania et nous voilà huit heures plus tard à Ivry dans les locaux de Cheval Sans Frontières, racontant nos émois aux membres présents à la réunion du Conseil d’Administration du 3 juin.

Avec ses belles rencontres aux accents marqués et pleines de bouffées d’oxygène… les Pyrénées en 2008 sont tracés et s’annoncent bien.

PS : L’Atlantique croisée de si près cette fois-ci sera le cadeau final de la Route avec un galop sur la plage d’Hendaye…

Affaire à suivre…..

Albane Desrousseaux

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